Congé. Malheureusement, ce n’était pas un mot qui faisait vraiment partie du vocabulaire du jeune Italien. Entre les devoirs, la révision, les examens, le temps qu’il passait en cours, la journée de stage qu’il avait à l’hôpital et le peu d’heures qu’il passait dans son lit, ça ne lui faisait plus vraiment de temps pour décompresser et prendre vraiment du temps pour lui. Quand il voyait des gens, généralement, c’était pour faire des travaux. Et pourtant. En se réveillant, ce matin-ci, son premier réflexe fut d’aller voir ses messages. Et quelle belle surprise eut-il en voyant que son seul cours de la journée avait été annulé, le professeur étant malade. Il leur laissait ainsi jusqu’à la semaine suivante pour étudier, l’examen étant reporté. N’importe quel élève aurait été heureux de recevoir ce message. N’importe lequel sauf Yansel. Parce qu’il devait sincèrement être le seul à avoir étudié pour cet examen. Le seul qui aurait vraiment été préparé et qui aurait, encore une fois, eu la meilleure note de sa classe. Or, cette fois-ci, tout ce qu’il venait de se rentrer dans la tête depuis les deux dernières semaines ne demandait qu’à ressortir. Voulait disparaître pour lui laisser enfin la chance de respirer – comme il ne l’avait pas fait depuis un bon moment. De laisser tout tomber, de prendre des vacances un peu. Des vacances. D’ailleurs, ce mot aussi ne faisait plus partie de son vocabulaire. Comme si quelqu’un l’avait tout simplement effacé de son dictionnaire mental – ce quelqu’un étant tout simplement l’université en elle-même.

Le temps libre est essentiel pour une bonne santé mentale, semblerait. Cela voulait-il dire que le jeune métis n’avait pas une bonne santé mentale ? Parce que passer le plus clair de son temps dans des bouquins ou devant le pc à faire des travaux, ce n’est pas ce qui allait entretenir le peu de liberté qu’il pouvait posséder – la liberté étant la principale chose qu’il était venu chercher à Séoul. Parce qu’il ne l’avait pas à Venise. L’herbe est toujours plus verte chez le voisin, comme on dit bien souvent. Cette fois-ci, par contre, le contraire s’appliquait. Ce n’était franchement pas plus vert en Corée, tout comme ce ne l’était pas du tout en Italie. Ses fins doigts pianotèrent un moment contre le gobelet de son frappuccino, posant ses prunelles sur la rue donnant devant le Starbucks – c’était bien l’une des choses qui le réconfortait un minimum dans cet endroit qui, malgré tout, lui était encore étranger. Le café ne battait surtout pas celui qu’il buvait dans son pays natal, mais réussissait tout de même à surpasser bien des endroits qu’il avait pu fréquenter. C’est d’un coréen cassé par l’accent italien qu’il marmonna un faible « Merci… » à la jeune dame derrière le comptoir, lui offrant un signe de tête lorsqu’il fut sur son départ. Simple signe de politesse, parce que franchement, il se foutait totalement d’elle et de ses airs de nunuche beaucoup trop naïve.

Yansel glissa ses écouteurs au creux de ses oreilles, allumant son Ipod pour égayer son retour à l’appartement – ce qui signifiait probablement un retour à la lecture et à l’emmerdement. Il traversa la rue. Et même s’il avait prit la peine de regarder des deux côtés avant de le faire, ses yeux restèrent fixés sur la voiture qui arrivait à vive allure vers lui. Jusqu’à se faire tirer vers l’arrière, tomber face première face à un jeune homme. « Mais… » Qu’il connaissait, visiblement. « Lei Fan… » Oui, il se souvenait de son prénom. Normal, puisqu’il devait consulter les dossiers des patients avant de s’occuper d’eux, mais comme l’hôpital était toujours bondé, il ne leur accordait que très peu de temps. Le jeune homme regarda autour de lui, prenant finalement conscience qu’il aurait franchement pu y rester. Ses prunelles se reposèrent sur le jeune homme affalé sous lui, esquissant un petit sourire gêné. « Merci… C’est gentil… » Son premier réflexe fut de se relever, visiblement mal à l’aise par la situation – surtout la position, en fait. Il lui tendit directement la main, hochant faiblement de la tête à sa question. « Je vais bien, oui… Et toi ? Je ne t’ai pas fait mal en tombant… ? » Et voilà. Il devait s’en faire pour l’autre, c’était plus fort que lui. Il se foutait de son propre bien-être, de sa propre santé. Il fallait que l’autre soit en bonne condition. C’était beaucoup plus important que tout le reste.

Accorder une importance à la vie devait être primordial au sein du métier qu’il exerçait. D’ailleurs, c’était principalement pour il voulait devenir médecin. Parce que chaque vie avait une incidence sur celle des autres et que chacune d’elle avait une valeur qui était inestimable. Et pourtant, si c’était sa vie qui devait y passer avant celle des autres, tout à coup, ça avait un peu moins d’importance. Certes, il allait oser se démener pour que quelqu’un ait la vie plus simple, mais s’il devait trépasser, peu importe de quelle façon, ça lui importait peu. D’autant plus que cette fois-ci, ce n’était qu’une simple étourderie. Une simple bourde qu’il aurait facilement pu éviter s’il n’avait pas eu la tête ailleurs. Toutefois, les bons samaritains se retrouvent un peu partout – et heureusement, Lei Fan avait été sur son chemin. Sinon, le chauffard l’aurait probablement emboutit et l’histoire se serait terminée à cet endroit. En effet, le policier avait raison. Le jeune homme devait faire un peu plus attention. Le pire, c’est qu’il connaissait le quartier comme sa poche. Il avait beau ne pas l’habiter, c’est toutefois à cet endroit qu’il avait passé le plus clair de son temps, jadis. Il savait bien que les gens conduisaient en malades puisqu’ils étaient presque tous pressés – ou vraiment juste parce qu’ils ne savaient pas conduire convenablement. L’Italien osa finalement poser son regard sur le visage de son sauveur, ne pouvant qu’afficher également un sourire. Parce que mine de rien, il fallait avouer que le jeune homme avait un sourire craquant – chose qu’il n’avait pas manqué la dernière fois, à l’hôpital. Parce qu’il lui avait beaucoup sourit, comme il semblait le faire en ce moment. Probablement pour camoufler la fine couche de rouge qui venait teinter ses joues, sans aucune raison apparente. Huuum, tu as quelque chose à faire ? Yansel regarda son portable, fixant l’heure. Juste pour la forme. Parce qu’il savait pertinemment qu’il n’avait rien à faire de toute la journée et c’est d’ailleurs pourquoi il était sortit. Parce qu’il n’avait plus rien à faire – ou alors qu’il voulait se faire croire qu’il n’avait plus rien à faire.

Le jeune homme glissait doucement ses mains dans les poches de sa veste, penchant légèrement la tête sur le côté en le voyant directement venir à ce quoi il attendait. Parce que non, Yansel n’était pas aveugle et ne l’avait jamais été. Il avait une facilité déconcertante à voir à qui il plaisait et qui lui faisait du charme. Il y avait des signes qui ne mentaient pas. Les sourires, ses joues qui devenaient rouges alors qu’ils ne s’étaient croisés qu’une seule fois. Certes, ce n’est pas tout le monde qui aurait accepté l’offre. Mais Lei Fan était tout sauf un jeune homme dangereux. Il ne risquait rien à se balader avec lui, ou même à aller prendre un café. Ce n’est d’ailleurs pas ce qui allait le tuer. J'aimerais beaucoup te remercier d’être resté un peu avec moi l'autre fois...Ca m'a...beaucoup rassuré, et j'ai vraiment bien aimé te parler. L’Italien de racla la gorge un moment, lui renvoyant un nouveau sourire. « Je ne faisais que mon travail, tu sais. J’aurais fait pareil avec n’importe qui… » Certes, ce n’était peut-être pas ce qu’il aurait voulu entendre, mais c’était la stricte vérité. Yansel tourna doucement les talons, forçant le jeune policier à la suivre, suivant tout simplement le chemin qui se présentait devant eux. « Que veux-tu faire ? Peu m’importe. S’il y a quelconque dépense, ça me revient. Je te dois bien ça, tu m’as tout de même sauvé la vie… » Son sourire s’agrandit encore une fois tandis qu’il relevait la tête vers le ciel, fixant les fins nuages venant le couvrir peu à peu. En effet, ils avaient parlé. Parlé de ce qui lui était arrivé, du pourquoi il se retrouvait à l’hôpital. Et la conversation c’était terminée sur des recommandations, des précautions à prendre. Tout ça très rapidement, oui. Et généralement, Yansel ne rencontrait jamais ses patients à la suite d’une consultation. La ville était tellement grande et peuplée que c’était presque tiré par les cheveux de faire un face à face avec quelqu’un qu’il avait soigné. Et pourtant, ce n’était pas impossible. En tournant dans la rue marchande la plus près, l’Italien tourna la tête vers Lei Fan, penchant une nouvelle fois la tête sur le côté. « Parle-moi un peu de toi. Tu fais quoi, à part sauver la vie de jolis garçons étourdis comme le Yansel que je suis. ? » Et voilà. Il venait de lui dire son prénom, chose qu’il aurait dû faire lors de leur première rencontre. Mais c’était sans importance, maintenant.

S’emballer ? Non, ça n’arrivait pas souvent. Presque jamais, en fait. Certes, ça dépendait bien sur des situations – parce qu’il n’était pas insensible à tout -, mais il savait très bien se contrôler. C’était bien rare de le voir s’attacher aussi facilement à qui que ce soit. Il leur laissait le loisir de s’approcher comme ils le voulaient, mais c’était pratiquement tout. S’ils s’attendaient à quoi que ce soit venant de sa part, c’était déjà mort dans l’œuf, quoi. Yansel n’avait d’ailleurs pas l’habitude d’aller les gens. S’ils venaient vers lui, comme venait de le faire Lei Fan, c’était parfait. Mais s’il devait y aller de lui-même, là, c’était différent. Il tournerait probablement les talons et s’en irait s’il en avait la possibilité. Il détestait être confronté aux gens. Sauf ceux qu’il aimait ou qui faisaient partie de son cercle restreint d’amis plus ou moins proches. Lorsque c’était un total inconnu, par contre. Ça le laissait souvent de marbre. Et pourtant, sa bouille de petit ange adorable ne l’aidait pas à ne pas attirer les gens. Surtout les filles le trouvant un peu trop mignon à son goût. C’était peut-être son charme d’Italien qui lui jouait des tours, ou alors il possédait un magnétisme naturel qu’il n’avait jamais su mettre à profit, au choix. «-E-e-en fait. J'allais profiter du beau temps pour aller me promener au Jardin Public...On m'a dit qu'il y avait des fleurs magnifiques. » Le sourire du jeune homme s’élargit légèrement en entendant sa proposition. Certes, c’était un magnifique endroit s’ils comptaient faire une balade. Au moins, il y avait quelque chose d’intéressant à voir – autre chose que tout ces buildings en béton. Et puis, c’était assez rare de pouvoir se retrouver un minimum dans la nature. À moins d’avoir une forêt directement derrière son domicile, ou alors un parc assez conservé pour avoir plus qu’une dizaine d’arbres, les espaces étaient pratiquement tous aménagés pour que les jeunes puissent s’amuser. Comme quoi les loisirs passaient largement avant le calme que pouvait apporter une forêt – sans compter ses incontournables effets bénéfiques pour les humains et la planète. « Mais si quelque chose te tente plus, dis le moi tout de suite. J'suis ouvert....à toutes euh...propositions. » Yansel ne ou s’empêcher de rouler des yeux. À ses oreilles, cette phrase sonnait presque comme des avances. C’est sur et certain que Lei Fan ne devait pas en être conscient, mais pour quelqu’un qui en avait l’habitude depuis bien des années, ça ne faisait presque pas de doute. Sauf que venant d’un jeune homme qu’il n’avait rencontré qu’une seule fois, c’était un peu déplacé – et fortement improbable. Ça ne ressemblait pas à Lei Fan non plus – du moins, de ce qu’il savait de lui.

S’il se souvenait bien du chemin, ils allaient dans la bonne direction. Pas besoin de prendre la voiture, ça se faisait bien à pied. Et c’était probablement plus utilise d’y aller à pied, pas besoin de se casser la tête pour trouver un stationnement – parce que c’était toujours bondé. Ses grands yeux noirs se tournèrent vers l’apprenti policier tandis qu’il prononçait son prénom, lui arrachant un sourire. C’était si impressionnant ? Ou c’était bien parce que ça n’avait aucune sonorité coréenne. Il hocha donc doucement la tête à sa question, reglissant sa main dans sa poche pour regarder l’heure – plus pour voir s’il n’avait pas reçu de message entre temps. « En effet, je ne suis pas totalement coréen. Je suis né en Italie. Ce qui fait officiellement de moi un Italien, et non un Coréen. » Et ouais, c’était la dure réalité. Le temps qu’il puisse avoir sa nationalité coréenne, il aurait eu le temps dix fois de retourner dans sa mère patrie. Il continua donc de marcher, l’écoutant raconter d’où il venait, pourquoi il faisait son métier. Et il vit directement à quel point il semblait impliqué dans son domaine. À quel point ça semblait lui tenir à cœur. Et encore une fois, ça le fit sourire. Le jeune homme lui renvoya rapidement la question et Yansel fut prit de court. Devait-il vraiment dire pourquoi il était ici ou devait-il inventer une toute nouvelle raison ? « Mh. Je viens de Venise. Je n’ai jamais connu mon père, mais il venait d’ici. Sinon. J’étudie en médecine, mais tu le sais déjà. J’avais besoin de nouveauté. Et surtout de quitter le tyran qui me sert de mère. »

Et voilà. Ne pas passer par quatre chemins. C’était assez clair. Et c’était la vérité surtout. En tournant la tête sur la droite, Yansel pu apercevoir le jardin, un peu plus loin, ce qui lui fit accélérer le pas, impatient de se retrouver dans un semblant de nature. Et il ne prit d’ailleurs pas le temps d’attendre Lei Fan, se dirigeant directement vers un buisson parsemé de fleurs. Il en cueillit d’ailleurs une, se retournant pour aller le rejoindre une nouvelle fois, la lui tendant, un énorme sourire aux lèvres. « Certes, ce n’est pas grand-chose. Mais je la trouvais belle. » Et voilà. Il venait d’épuiser le dernier sujet de conversation qui aurait pu lui venir en tête. C’était assez complexe quand on ne connaissait pas l’autre personne. Il y avait mille et unes questions qui pouvaient se poser, mais aucune ne lui venait en tête, malheureusement. Il se retourna donc pour continuer sa route, se passant une main sur la nuque en soupirant un moment. Puis il tourna de nouveau la tête vers lui. « Tu vas mieux ? Ta blessure a bien guérie.. ? » C’était le mieux qu’il avait pu faire, oui. Yansel qui était de nature assez silencieuse, voilà qu’il devait engager la conversation. C’était plus complexe qu’il ne l’aurait cru.